Le Réseau Ouest Africain des Politiques en matière de Drogues (WADPN) travaille en collaboration avec différents partenaires pour contribuer à changer le régime répressif des politiques en matière de drogues qui prévaut en Afrique de l'Ouest, au profit d'une approche fondée sur des preuves et respectueuse des droits de l'homme, de la santé publique et des objectifs de développement durable. Ceci pour être en mesure de réagir efficacement aux menaces croissantes que le marché de la drogue exerce sur la santé publique, la gouvernance et la stabilité dans la région. Les lois prohibitionnistes dominantes sur les drogues, axées sur la répression et l'abstinence, ne semblent avoir pour effet que de renforcer ces menaces plutôt que de les atténuer.
En effet, la criminalisation de toutes les activités liées au trafic de drogue, y compris l'usage personnel et la possession de drogue, jusqu'à présent, n'a pas empêché le trafic à grande échelle ni la distribution massive de drogue dans toute la région. Bien au contraire, elle a engendré des effets négatifs inestimables, en particulier sur les jeunes, les pauvres et autres délinquants vulnérables et non violents.
Curieusement, on a tendance à croire que ces lois prohibitives seraient en étroite conformité avec les Conventions internationales des Nations Unies relatives au contrôle des drogues. Ce qui n'est pas tout à fait vrai car Il existe plusieurs cas d'incompatibilité entre ces lois et ces conventions. J'ai pris soin d'en mentionner quelques-uns ci-après, de même que les faiblesses correspondantes, tout en demandant à tous les États d'Afrique de l'Ouest de renoncer à ce régime répressif.
La notion de conformité
Les Conventions internationales des Nations Unies relatives au contrôle des drogues sont sans aucun doute le socle des lois nationales en la matière, toutefois, on peut douter de la conviction des États ouest-africains quant au degré de conformité de leur politique en matière de drogues vis-à-vis desdites Conventions. Ainsi, le préambule de la Convention unique de 1961 met l'accent sur le caractère indispensable de l'usage médical des stupéfiants et sur le devoir des États membres de les rendre disponibles et accessibles à tous ceux qui en ont besoin. L'article 4 (c) de ladite Convention incite par ailleurs les Etats membres à autoriser la production, le commerce, l'utilisation et la possession de ces drogues, y compris le cannabis qui est en grande partie cultivé dans la région, aux seules fins médicales et scientifiques. Pourtant, il n'y a quasiment aucun pays de la région ayant une politique ou une loi sur les drogues conforme à ces dispositions, mis à part le Ghana qui a récemment voté une loi autorisant la production de cannabis avec un taux de tétrahydrocannabinol inférieur à 0,3%, dans un but strictement médical et industriel ?
D'autre part, bien que l'article 38 de la Convention unique exige des parties concernées qu'elles " veillent tout particulièrement à prendre toutes les dispositions possibles pour empêcher l'abus des drogues et assurer le dépistage précoce, le traitement, l'éducation, la prise en charge, la réhabilitation et la réinsertion sociale des usagers et dépendants des drogues ", le traitement et la réhabilitation des consommateurs de drogues demeurent illégaux et punissables par la loi dans la plupart des pays de la région. Voilà qui explique vraisemblablement pourquoi il n'existe que très peu de structures de réduction des risques dans la région, mises à part quelques pays comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire, la Sierra Leone, le Mali et le Burkina Faso, où sont mis en place des programmes de traitement et de réinsertion des toxicomanes.
Dans la plupart des États ouest africains, les lois nationales relatives aux drogues infligent des sanctions pénales pour usage personnel et possession de drogues. Contrairement à ce que certains prétendent, ceci n'est conforme à aucune des conventions des Nations Unies sur le contrôle des drogues. Cette position unanime des Etats de la région a probablement été inconsciemment influencée par la disposition pénale équivoque de l'article 36 de la Convention unique des Nations Unies de 1961. Si le premier paragraphe recommande la sanction et la mise en détention éventuelle pour tout type d'infraction et surtout les plus " graves ", y compris la possession non autorisée de drogues, il prévoit également le traitement et la reinsertion pour dépendance aux drogues. Le paragraphe 2 du même article invite les parties à prévoir des alternatives à la condamnation ou à la sanction pour usage personnel et possession. Il insiste aussi sur la nécessité de prévoir des soins, une prise en charge, une réhabilitation et une réinsertion sociale, même lorsque les usagers ont été reconnus coupables et condamnés à une quelconque forme de sanction.
Cela peut paraître paradoxal, mais le paragraphe 2 de la page 402 du Commentaire sur la Convention unique des Nations Unies sur les drogues de 1961 stipule que "les parties ne devraient pas considérer la possession non autorisée de drogues pour usage personnel comme une infraction " majeure ", comme le suggère l'article 36, paragraphe 1. Il recommande que l'infraction n'entraîne aucune sanction de quelque nature que ce soit, y compris la privation de liberté. Il autorise également les parties à "imposer des sanctions mineures telles que des amendes ou un blâme" pour la consommation et la possession de drogues à usage personnel. Hélas, tel n'est pas le cas en Afrique de l'Ouest. En réalité, les infractions mineures liées à la drogue, telles que la consommation personnelle et la possession de stupéfiants, sont les principales causes d'arrestations dans la région. Selon le rapport 2020 de Media Resources : " Enforcement of Drug Laws by Global Commission on Drugs ", 16,6 % de la population carcérale mondiale (10,35 millions) et 83 % de toutes les infractions liées à la drogue, qui représentent 20 % des (10,35 millions), sont des infractions mineures et non violentes .
Les défaillances d'un régime répressif en matière de drogues
En dépit des éléments de plus en plus nombreux qui démontrent son inefficacité et ses conséquences néfastes sur les droits de l'homme, la santé publique et l'économie, la politique répressive en matière de drogues constitue la norme en Afrique de l'Ouest. La criminalisation de la consommation personnelle et la possession de drogues porte un préjudice considérable aux individus et aux communautés de la région. Les effets sur le long terme peuvent entraîner la séparation des familles, la limitation de l'accès des jeunes aux opportunités d'emploi et aux services sociaux et sanitaires, ainsi que l'exposition des jeunes à la stigmatisation et à la discrimination pendant toute leur vie.
Le traitement de la toxicomanie et les services de réhabilitation sont criminalisés par les régimes de politique répressive en matière de drogues, ce qui suggère que la prison est ainsi la destination ultime des délinquants reconnus coupables de toxicomanie, et notamment de ceux susceptibles d'avoir besoin de ces services, tels que les personnes souffrant de dépendance. Le motif traditionnel justifiant l'incarcération repose sur son effet supposé de dissuasion et de réhabilitation. Compte tenu de l'état de nos prisons, il est évident que le simple fait de garder les consommateurs de drogue en prison ne permet pas de les réhabiliter et ne garantit aucunement la prévention, ni pendant ni après l'incarcération. Au contraire, cela les prive d'une attention particulière, aggravant ainsi leur problème de dépendance et les exposant à des complications sanitaires.
Il est surprenant que les gouvernements ouest africains hésitent à se conformer à la recommandation de l'ONUDC/OMS consistant à traiter la toxicomanie comme un problème de santé et non comme un acte criminel, et à veiller à ce qu'elle soit traitée hors du cadre de la justice pénale.
Au-delà du fait que les consommateurs de drogues se voient privés de traitement et de réhabilitation, l'application répressive de la loi sur les drogues les expose à de graves atteintes aux droits de l'homme, notamment à des arrestations arbitraires, à la torture, à la détention provisoire prolongée et au refus d'accès aux soins vitaux et aux interventions de prévention. La politique répressive en matière de drogues accentue également le risque d'overdose et expose les consommateurs de drogues injectables à l'hépatite et au VIH via le partage du matériel d'injection et les injections précipitées de drogues sans force par crainte de la police.
La politique répressive en matière de drogues présente des menaces évidentes pour la sécurité des communautés. En Afrique de l'Ouest, la plupart des communautés urbaines soupçonnées de trafic de drogue sont assiégées au nom de la lutte contre les drogues illicites. Les opérations policières militarisées ou la résistance des réseaux criminels qui cherchent à protéger leur marché de la drogue contre les descentes de police alimentent la violence, la peur et le sentiment d'insécurité parmi les habitants des communautés.
Les médias de la Sierra Leone et du Ghana ont rapporté des cas où des descentes de police ont entraîné la destruction de récoltes et la perte de vie humaines et de biens. La criminalisation constante de l'usage personnel et de la possession de drogues compromet les objectifs principaux de la Convention, à savoir la promotion de la santé et du bien-être de l'humanité, entre autres.
Appel à la cessation du régime répressif en matière de drogues
WADPN invite les gouvernements des États ouest africains à mettre fin au régime répressif sur les drogues et à opter pour une politique de lutte contre les drogues fondée sur des preuves, respectueuse des droits de l'homme, de la santé publique et du développement durable. Au cœur de cet appel se trouve la recommandation de la Commission Ouest Africaine sur les Drogues selon laquelle "la consommation de drogues doit être considérée avant tout comme un problème de santé publique, et l'usage personnel et la possession de drogues doivent être décriminalisés". La décriminalisation des drogues ne signifie pas, comme beaucoup le craignent à tort, le début d'une ère de consommation libre de drogues. Elle va plutôt simplement transformer la perception qu'a l'Afrique de l'Ouest du problème de la dépendance, tant sur le plan juridique que sur celui des soins. Selon le contexte, chaque pays a adopté un modèle différent de décriminalisation et les preuves attestent de leur efficacité jusqu'à présent.
Les pays ouest africains qui envisagent, ou sont déjà sur le point de réformer leurs lois sur les drogues, devraient penser à se référer au Modèle de Loi type sur les drogues en Afrique de l'Ouest, qui constitue un outil efficace pour les responsables politiques en vue de répondre aux besoins des réformes des politiques sur les drogues. "Elle inclut les obligations des trois traités de l'ONU dans ses dispositions législatives et son commentaire.
Elle tient également compte des conclusions et des engagements de la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies de 2016 sur le problème mondial de la drogue, du Plan d'action antidrogue de la CEDEAO pour lutter contre le trafic illicite de drogues, le crime organisé et l'abus de drogues en Afrique de l'Ouest (2016-2020), ainsi que, des preuves de son efficacité existantes, du besoin d'une plus grande harmonisation des lois sur les drogues dans la région, et des lacunes actuelles de la législation ". Les gouvernements devraient aussi s'assurer que les services de soins et de réhabilitation soient disponibles, accessibles, abordables, fondés sur des preuves et diversifiés, tel que recommandé par la Commission des stupéfiants.
Le WADPN est impatient de mettre à profit son expertise, les ressources disponibles et le partenariat déjà établi avec les gouvernements, les responsables politiques et les agences de contrôle des drogues dans toute la région pour faire de cet appel à une réforme de la politique des drogues fondée sur des preuves une réalité.
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